Allocution de S.M. le Roi Mohammed VI lors du 21ème Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement d'Afrique et de France

Yaoundé le 18/01/2001

Honorables chefs d'Etat et de gouvernement,
Mesdames et messieurs les chefs de délégation,
Monsieur le Secrétaire général des Nations Unies,
Mesdames et Messieurs,
 
C'est pour Moi un réel plaisir que de Me retrouver au sein de la famille franco-africaine à l'occasion de ce 21ème Sommet de chefs d'Etat d'Afrique et de France, de contribuer lors de cette rencontre au renforcement de nos liens d'amitié et de fraternité, et participer à cette réflexion commune sur les questions stratégiques et du développement qui intéressent notre continent africain.
 
Qu'il me soit permis d'exprimer, à cette occasion, au peuple camerounais et à Son Excellence le Président Paul Biya, Ma sincère gratitude pour la qualité de l'accueil et de l'hospitalité, qu'ils nous ont été réservés depuis notre arrivée dans ce beau et cher pays qu'est le Cameroun.
 
Les animateurs des ateliers de réflexion sur le thème de notre conférence l'Afrique et la mondialisation méritent toute notre reconnaissance pour le remarquable travail d'analyse qui a été le leur et qui nous permettra lors de nos débats de mieux cerner les contours et enjeux du nouvel ordre mondial qui s'élabore sous nos yeux et dont le dynamisme renouvelé et la logique multilatérale ont aidé à enterrer le pacte colonial au profit d'une interdépendance économique et à construire cette interdépendance sur des droits et des obligations identiques pour tous.
 
Ce nouvel ordre est, comme vous le savez, caractérisé par une exceptionnelle mutation économique et technologique, et par le noble projet de faire prévaloir les valeurs de solidarité, de tolérance, les impératifs d'ouverture et de dialogue, sur la loi du plus fort et les tentations de l'égoïsme unilatéral.
 
Mais tout un chacun prend conscience que cette vision demeure largement théorique et académique. La réalité à laquelle nous sommes confrontés sur le continent africain, est autrement plus inquiétante.
 
En effet, cette réalité est que l'ensemble africain est une partie du monde où le P.I.B. de nombreux pays reste trop inférieur à celui des pays membres du G8.
 
Elle est aussi celle d'un univers devenu village planétaire, où l'information, n'ayant pas de frontières, véhicule en permanence des images où l'extrême richesse côtoie tous les jours l'extrême pauvreté, sur les écrans des cinémas, des télévisions, des vidéos et des ordinateurs.
 
Elle est enfin celle d'un système qui, au début de ce troisième millénaire, se fonde sur des échanges commerciaux qui ont dépassé 10.000 milliards de dollars, soit près du quart du P.I.B. mondial, mais qui n'est pas encore cet espace fluide souhaite et espéré où les bienfaits de la mondialisation se repartiraient équitablement entre les régions et les nations et bénéficieraient ainsi à l'ensemble de la communauté humaine.
 
L'observateur attentif ne peut pas ne pas se rendre compte que la prodigieuse expansion des technologies nouvelles, dont Internet, pour ne prendre que l'exemple de cet outil magnifique, risque de demeurer pour longtemps un mirage pour de larges fractions de l'humanité qui vivent encore sans instruction, sans logis décent, sans électricité, sans eau, démunis de tout ce qui pourrait satisfaire les besoins fondamentaux d'une existence valorisante et digne.
 
Et nous savons que la santé dans ce contexte est pour l'homme un facteur essentiel pour une conquête plus affirmée de sa dignité. A cause de la malnutrition, du manque d'hygiène et du Sida, ce fléau des temps modernes, dévastateur, et obsédant, et en dépit de tous les progrès enregistrés en recherche médicale et pharmaceutique, l'espérance de vie risque d'être écourtée en Afrique, amputant les sociétés africaines et les privant de leurs compétences les plus actives, de leur jeunesse la plus énergique, et la plus prometteuse.
 
Comme nous savons aussi que la régulation agricole et la recherche agronomique, à l'ère de cette mondialisation rampante, sont de peu de secours pour les trente millions d'Africains qui souffrent encore de nos jours d'un intolérable et inacceptable déficit alimentaire.
 
Ces propos qui ne sont nullement des jugements de valeur, mais de réalité, ne sont en aucun cas un procès fait au principe même de la mondialisation, mais si mondialisation il doit y avoir, nous souhaitons qu'elle engendre une mutation solidaire, plus attentive au sort des populations marginalisées, plus à l'écoute des Africains encore exclus du processus d'intégration mondiale.
 
Il s'agirait en somme d'une mondialisation à visage humain, d'un système auto-régulé, qui porterait en lui-même les mécanismes de corrections qui garantiraient son équilibre dans la durée, lui permettant d'intégrer plus que d'exclure, de freiner toute régression et d'aller vers une alliance de progrès et de dépassement.
 
L'équilibre recherché devrait également viser à mon avis, à sauvegarder les spécificités et les identités propres à chaque société, conciliant ainsi les exigences de la modernité et les vertus de l'authenticité.
 
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
 
Mon pays, le Maroc, comme vous le savez, avait eu l'honneur d'accueillir en 1994 à Marrakech, le dernier round du cycle du GATT qui a donné naissance à l'Organisation mondiale du commerce.
 
A cette occasion, mon regretté père, Sa Majesté Hassan II, que Dieu l'ait en Sa Sainte Miséricorde, conscient qu'il était des implications multiples qu'allait engendrer le phénomène de la mondialisation sur les économies de nos pays, avait appelé de Ses vœux la mise en œuvre d'un plan de développement global pour l'Afrique. Dans son esprit, ce plan devait conduire à l'ancrage des pays d'Afrique dans le système commercial multilatéral, inaugurant ainsi un cycle dynamique et permanent de progrès économique et social à l'échelle du continent.
 
Aujourd'hui, l'appel visionnaire de notre regretté Souverain, dont le souci majeur était le bien-être et la quiétude des peuples africains, est plus que jamais d'actualité. Nous relevons, en effet et non sans inquiétude, que l'Afrique n'a bénéficié que marginalement des retombées de la libéralisation des échanges, et ce malgré la profession de foi de l'Organisation mondiale du commerce.
 
Cette marginalisation de l'Afrique, dans tous les secteurs de la vie internationale, entrave et de manière sérieuse son intégration au système commercial multilatéral. Notre continent, dont la population dépasse les 700 millions d'habitants, représente moins de 2 % du commerce mondial et reçoit à peine 2 % du total du flux des investissements internationaux, lesquels concernent pour l'essentiel des secteurs des mines et du pétrole.
 
Déjà pénalisés par le retard de leurs systèmes productifs et par l'instabilité des prix, les pays africains se heurtent à la fermeture des marchés des pays industrialisés, laquelle fermeture concerne leurs produits les plus compétitifs. A titre d'exemple, en 1999, les pays développés ont affecté plus de 300 milliards de dollars aux subventions agricoles, soit environ le P.N.B. total de tous les pays de l'Afrique subsaharienne.
 
A la fermeture des marchés, s'ajoutent les politiques commerciales restrictives et la perte des parts de marchés induits ainsi que la généralisation du système des normes par produit qui est en passe de devenir une nouvelle barrière non tarifaire. Le manque à gagner pour les pays africains est considérable et dépasse de loin les subsides de l'aide publique au développement.
 
La dette extérieure de l'Afrique évaluée à près de 350 milliards de dollars en 1999, constitue un autre handicap majeur au développement économique et social de l'ensemble des pays africains. D'où l'impérieuse nécessité et la réelle urgence de repenser cette dette en termes d'annulation ou de reconversion afin qu'elle soit génératrice d'emplois et de ressources qui pourraient être allouées aux budgets sociaux.
 
Mon espérance est que cette situation ne puisse perdurer et que la communauté internationale ne puisse s'accommoder indéfiniment d'une mondialisation asymétrique et à sens unique, s'éloignant ainsi du principe originel et globalisant du concept même de mondialisation.
 
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
 
Nous, Africains, sommes conscients des limites des apports de l'aide extérieure dans le développement de nos pays. Nous savons que c'est à nous que revient la responsabilité d'éradiquer la pauvreté et de concevoir un développement qui serait durable.
 
C'est mus par cette conviction que nous nous employons, avec foi et détermination à accélérer l'intégration continentale de nos économies et à l'intensifier pour en faire le point d'ancrage du continent dans le système commercial multilatéral.
 
Le succès de cette politique nécessite à l'évidence le renforcement des institutions régionales et la création de zones de libre échange, elles aussi régionales.
 
Le sommet du millénaire, tenu en septembre dernier dans l'enceinte des Nations Unies, a été l'occasion pour les dirigeants du monde entier de réaffirmer leur attachement aux valeurs de solidarité, de respect de la nature, de lutte contre la pauvreté et de partage des responsabilités en matière de promotion de la sécurité humaine et de développement durable.
 
Un consensus s'est également dégagé pour la refonte de l'architecture monétaire, financière et commerciale qui régit le nouvel ordre mondial. Aussi, je formule l'ardent espoir que la session extraordinaire de haut niveau qui se tiendra l'année prochaine sous le thème partenariat mondial pour le développement puisse imaginer des formules nouvelles et inédites pour instaurer des règles équitables et dégager des ressources supplémentaires au bénéfice de l'ensemble de la communauté humaine, et de l'Afrique en particulier dans sa quête d'un développement consolidé et d'une intégration harmonieuse.
 
Pour la réussite de cette noble entreprise, l'Afrique compte sur la compréhension de la France et son soutien tant auprès de l'Union Européenne et ses pairs du G8, qu'au sein des organisations du système des Nations Unies et des institutions de Bretton-Woods, afin que la voix de notre continent soit entendue et ses intérêts sauvegardés, dans un monde plus humainement solidaire.
 
Monsieur le Président de la République Française,
 
Je tiens au nom du Royaume du Maroc à rendre hommage à votre engagement personnel en faveur de cette entreprise, et de la cause africaine. Je sais combien vous êtes déterminé à lutter contre les fractures et les exclusions, et que vous ne ménagerez pas vos efforts ni ceux de la France, pour éviter que la mondialisation n'aboutisse à d'autres fractures et d'autres exclusions et que l'essentiel de vos énergies soit mobilisé pour contribuer à la prospérité du Continent africain, et à la mise en place d'un processus qui l'intégrerait, sans heurts, ni soubresauts, dans l'ère de la mondialisation, au bénéfice de ses populations et de l'universelle communauté.
 
Je vous remercie, Excellences, Mesdames et Messieurs, pour votre aimable attention.